Pffff... cela faisait longtemps que je n'avais pas fait cela!

Ginette s'essuya le front et posa sa hache à terre. Devant elle, plantés dans le sol, s'élevaient les quatre troncs qui serviront de base à sa cabane... sa cabane... la première maison de cette nouvelle ville. Peut-être jour s'élèverait ici un imposant bâtiment de pierres... Peut être une halle qu'empliraient les milles bruits et les milles odeurs d'un marché grouillant de monde et de vie... Peut être un château dont la beauté éclairerait toute la région des milles feux des pierres précieuses qui y seraient accrochées... Ou alors encore, un immense théâtre où les foules se presseraient pour assister aux derniers spectacles en vogue, où les applaudissements assourdissants retentiraient et s'élèveraient vers les cieux. L'art!!! le plus bel hommage au ciel
Holà ! Ma pauvre Ginette, tu dérailles on dirait ! Tu ne t’arranges pas avec l’âge ! Ou alors c’est le soleil qui t’a tapé sur la tête ! Va falloir que tu reviennes sur terre si tu veux pouvoir un jour t’abriter sous un toit !

Ginette parcourut un instant l’horizon du regard, espérant sans doute y trouver l’un de ceux qui devaient la rejoindre. Elle resta pensive, le regard perdu au loin… D’un revers de manche sur son visage, elle essuya une trainée mouillée sur ses joues couvertes de poussière.
De toute façon je les connais, tous des tire-au-flanc. S’ils croient qu’ils vont profiter de mon travail sans avoir transpiré une goutte. Je vais les recevoir, moi, tiens !!

Et après un furtif coup d’œil circulaire, elle se remit au travail.
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Ginette avait sursauté en entendant un cavalier non loin de son campement. Elle s'était endormi il y a quelques instants et ... Ginette regarda autour d'elle. La poussière s'était accumulée sur le sol comme si cela faisait plusieurs jours qu'elle dormait. Elle tendit la main vers sa tasse de tisane chaude et découvrit que celle-ci était non seulement froide, mais en plus que la plupart du liquide s'était évaporé.
Et bien ma pauvre Ginette, on dirait qu'avec l'âge tu te transformes en l'une de ses vielles tortues qui hibernent sans s'en rendre compte.

Elle s'approcha de la porte et vit au loin Gooliv sur son cheval qui contemplait l'horizon, pensif. Il semblait déclamer des vers, ou peut être un de ses habituels discours. Il est vrai que Gooliv était un des piliers de ce monde. Un de ceux qui batissent, un de ceux qui font. Souvent, il s'était moqué d'elle, avec sa manière et ses belles paroles. Gooliv avait un esprit toujours foisonnant d'idées, il allait toujours de l'avant, proposant sans cesse de nouvelles choses, reflechissant sur tout.
Jamais je n'ai su faire comme lui, avoir autant d'esprit d'analyse. Sa description des modes et coutumes du continent est toujours pleine de bon sens. Il est un fin observateur des choses de ce monde.

Ginette, sentant que Gooliv n'était pas de ceux qui s'installerait auprès d'elle, mais qu'il serait plutot un voyageur ami, souvent de passage, se remit à l'ouvrage. C'est qu'en fait, il allait falloir qu'elle construise aussi des chambres d'amis.
Allons, ma toute belle, tu n'as pas d'amis, tu le sais. Avec ton sale caractère. Tout ce que tu peux espèrer, c'est que ton abri serve de relais, de temps en temps.

Et sa hache s'abattit sur un malheureux rondin qui trainait pas là.

Quelques vers d'un Marquis lui revenaient en tête.

Le Temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits
On m'a vu ce que vous êtes
Vous serez ce que je suis.

Nous sommes tous condamnés, Ginette. A plus ou moins court terme.
Combien sont déjà partis ...

Une larme coula sur la joue de Gooliv. Il s'approcha de Ginette pour embrasser son vieux front ridé.

Pauvre Ginette, pauvre misère, Creuse la terre creuse le temps ...